De nombreuses espèces exotiques envahissantes menacent la santé des forêts canadiennes. Dans le cadre du projet bioSAFE, nous allons étudier deux insectes envahissants et deux agents pathogènes.

Le projet bioSAFE utilise une approche à deux volets pour développer des outils de biosurveillance. Les approches utilisées sont les suivantes : (1) établir la distribution géographique mondiale de l’organisme afin d’identifier sa provenance la plus probable lors d’une infestation et (2)  analyser les caractéristiques fonctionnelles qui permettent aux ravageurs de se propager et de survivre dans des écosystèmes forestiers différents de leur milieu d’origine. 

Le clé du deuxième volet consiste à identifier des marqueurs génétiques liés aux caractéristiques épidémiologiques qui permettent aux pathogènes envahissants de se propager et de survivre adéquatement dans un nouvel environnement, ce qui représente un objectif très précieux pour soutenir les efforts actuels et futurs d'atténuation des risques et de surveillance. Certains traits peuvent être facilement associés au caractère envahissant  et pourraient être utiles pour prédire certains paramètres d’une nouvelle invasion. La virulence et la gamme d’hôtes des agents pathogènes ainsi que la capacité de vol et la résistance au froid des insectes ont été liés au déclanchement des épidémies et sont susceptibles d’être transmis à la descendance, faisant d’eux de bons candidats pour les analyses génétiques et génomiques. Ces caractéristiques sont génétiquement complexes et nécessiteront de multiples approches pour trouver des marqueurs génétiques associés au pouvoir prédictif suffisant.

Voici une présentation sommaire des quatre organismes indésirables sur lesquels porte le projet bioSAFE  et sur les aspects qui sont étudiés par nos scientifiques.

Longicorne asiatique (ALB)

Longicorne asiatique (ALB)
Longicorne asiatique (ALB)

Le longicorne asiatique est un insecte forestier envahissant originaire de Chine et de Corée. Il se nourrit du bois de presque toutes les essences de feuillus en Amérique du Nord, mais spécialement des érables indigènes.  Les femelles pondent leurs œufs à travers l’écorce et les larves creusent des tunnels dans les tissus vivants, interrompant ainsi le transport de l’eau et des nutriments et entrainant la mort de l’arbre. L’insecte se transporte facilement dans le de bois de chauffage, d’arbres vivants ou par du bois non traité, comme le matériel d’emballage utilisé pour le transport maritime de marchandises.

Le longicorne asiatique a été introduit pour la première fois en Amérique du Nord dans les années 1990, probablement par des matériaux d’emballage en bois massif, telles des caisses ou des palettes de bois. En 2003, il a été découvert pour la première fois au Canada dans un parc industriel de la région de Toronto. Un programme d’éradication intensif a alors été mis en place pour retirer les arbres hôtes dans une zone de quarantaine autour de l’infestation, au coût de dizaines de millions de dollars sur quatre ans, afin d’empêcher la propagation. Une seconde infestation a été détectée à Toronto en 2013. Des mesures de détection et d’éradication ont, de nouveau, été mises en place et un programme de surveillance est présentement en cours pour évaluer le succès de ces efforts. Au total, c’est près de 500 millions de dollars américains qui ont été dépensés en Amérique du Nord depuis les années 1990 pour l’éradication et la surveillance du longicorne asiatique.

Distribution géographique mondiale

Les populations de longicorne asiatique colonisent de nombreux milieux en Chine et nous nous attendons à ce que certaines d’entre elles soient plus résistantes aux rudes hivers canadiens. Si nous pouvons identifier ces populations, les ressources pourront être allouées aux introductions les plus à risque. Une partie de l’équipe de bioSAFE (dirigée par Dre Ilga Porth de l’Université Laval et Dre Amanda Roe de Ressources naturelles Canada) identifie des marqueurs génétiques appelés polymorphismes nucléotidiques (SNP en anglais) qui nous permettent  d’identifier efficacement l’origine géographique d’une l’infestation.

Caractéristiques fonctionnelles liées à la valeur adaptative et au succès épidémiologique

Une approche parallèle et connexe est dirigée par Dr Brent Sinclair (Western University), Dre Amanda Roe et Dr Daniel Doucet (Ressources naturelles Canada) et  tente d’identifier des marqueurs génomiques (figures 1 et 2) indiquant  la capacité d’un individu de longicorne asiatique à survivre à l’hiver. Pour ce faire, ils déterminent d’abord les mécanismes physiologiques responsables de la résistance au froid puis utilisent la transcriptomique et la métabolomique pour identifier les cascades de réactions et les molécules qui sous-tendent ces mécanismes. Ils utiliseront ensuite la base de données de SNPs pour identifier ceux qui sont susceptibles d’être spécifiquement associés à une capacité d’hivernage accrue. Ces travaux sont effectués au Laboratoire de quarantaine et de production d’insectes du Canada, la seule installation canadienne certifiée pour l’hébergement de colonies de longicorne asiatique.

Figure 1.

 

Figure 2

 

Organigrammes originaux par Dr. Alex Torson

Maladie hollandaise de l’orme (MHO)

Maladie hollandaise de l’orme (MHO)
Maladie hollandaise de l’orme (MHO)

Depuis son introduction en provenance d’Europe, la maladie hollandaise de l’orme (MHO) a décimé des millions d’ormes à travers l’Amérique du Nord. L’agent pathogène responsable de cette maladie est transporté par des insectes indigènes et exotiques du groupe des scolytes dont les larves creusent des galeries sous l’écorce des arbres affaiblis pour se reproduire. Les scolytes adultes se déplacent ensuite vers un arbre sain et propage la maladie. La première introduction, qui a été rapportée en 1930, a atteint l’est du Canada dans les années 1940 puis le Manitoba en 1975. Le front de la maladie est maintenant en Saskatchewan; les provinces de l’Alberta et la Colombie-Britannique sont présentement épargnées.

Au moins deux agents pathogènes possédant des degrés de virulence différents provoquent la MHO : Ophiostoma novo-ulmi et O. ulmi. Ces agents pathogènes font partie des ophiostomatoïdes, un groupe de champignons incluant d’autres ravageurs dangereux entrainant des pratiques de quarantaine tel que Bretziella fagacearum (flétrissement du chêne), Raffaelea quercivora (flétrissement du chêne japonais) et Leptographium wageneri (tache noire des racines). Ces champignons sont propagés par des scolytes et peuvent être facilement transportés dans le bois de chauffage ou le bois d’oeuvre. Ils font l’objet d’une surveillance phytosanitaire par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). Des campagnes de détection intensives sont effectuées chaque année dans les provinces sur le front de migration de la maladie ainsi que dans celles où la maladie est déjà présente.

Distribution géographique mondiale

Pour reconstituer le schéma épidémiologique mondial de la MHO, nous analyserons les données génomiques des échantillons historiques récoltés sur de nombreuses années. Nous produirons ainsi une carte retraçant l’évolution historique de la maladie basée sur la chronologie des introductions mondiales, ce qui nous donnera un aperçu unique de l’ évolution et de l’adaptation de l’agent pathogène et possiblement de celle d’autres agents pathogènes envahissants.

Caractéristiques fonctionnelles liées à la valeur adaptative et au succès épidémiologique

Comprendre ce qui caractérise les agents pathogènes forestiers capables de coloniser de nouveaux écosystèmes et de provoquer des épidémies à grande échelle peut fournir des outils d'analyse et de détection prédictifs. Par exemple, la virulence du pathogène causant la MHO varie de très élevée (O. novo-ulmi) à modérée (O. ulmi) ou moyennement élevée (O. himal-ulmi), dépendamment de l’hôte. À l’aide des outils de la génomique, nous identifierons les facteurs influençant cette virulence et développerons des marqueurs génomiques qui la prédiront. Différentes méthodes d’identification des régions génomiques associées à la virulence dans des phytopathogènes non-modèle seront appliquées à cette maladie. Pour ce faire, nous identifierons d’abord des gènes candidats liés à la virulence, à l’adaptation à la température et à l’utilisation de différents substrats puis, nous associerons les phénotypes avec les variations observées dans les séquences d’ADN des génomes des échantillons composant notre collection.

Encre des chênes rouges

Encre des chênes rouges
Encre des chênes rouges

Phytophthora ramorum est un oomycète (groupe de microorganismes ressemblant morphologiquement aux champignons) qui peut attaquer plus de cent espèces d’hôtes, incluant des essences d’arbres de grande valeur au Canada dont le sapin de Douglas, le mélèze et les chênes. Les maladies les plus dommageables causées par ce pathogène sont l’encre des chênes rouges en Californie et en Oregon et la mort subite du mélèze en Angleterre. Cet agent pathogène a tué des centaines de milliers d’arbres, affectant ainsi le paysage et causant des pertes économiques en Amérique du Nord et en Europe. La maladie a été découverte dans une pépinière de Colombie-Britannique en 2003, mettant ainsi les forêts canadiennes à risque. Depuis cette découverte, des programmes agressifs d’éradication et de certification phytosanitaire ont permis de contenir l’agent pathogène dans quelques pépinières de cette province. L’ACIA effectue des inspections et du ratissage annuellement pour identifier les espèces et les lignées en combinant la culture de l’agent pathogène et les tests génétiques développés par cette équipe dans le cadre de ses recherches fondamentales effectuées précédemment. 

 

Les méthodes actuelles de biosurveillance ne peuvent différencier les nouvelles introductions du pathogène des précédentes qui auraient échappées aux efforts d’éradication dans les pépinières qui connaissent des épisodes récurrents d’infestation. Or, la capacité de différencier ces deux scénarios guidera l’ACIA dans ses mesures de contrôle. Les méthodes d’enquête actuelles ne permettent pas non plus d'attribuer de manière fiable un échantillon d'agent pathogène à une population source. La biosurveillance de cet agent pathogène est d’autant plus compliquée par leur capacité à s’hybrider, à évoluer rapidement et dans certain cas, à sauter d’un hôte à l’autre. Aucune de ces caractéristiques ne peut être étudiée avec précision avec es outils actuels; c’est pourquoi une approche basée sur l’analyse du génome permettra donc de relever ces défis. 

 

Distribution géographique mondiale

Nous avons effectué une analyse génomique rétrospective de plus de 500 échantillons de P. ramorum provenant d'Europe, des États-Unis et du Canada sur plusieurs années afin de construire une base de données exhaustive des profils génomiques. Cela permettra de réaliser une analyse épidémiologique génomique pour suivre l'épidémie d’encre des chênes rouges au Canada, identifier les sources et les voies de tranmission et ainsi développer l'outil Phytoseq. Nous évaluerons l'efficacité des mesures d’atténuation en comparant les profils génomiques des échantillons isolés avant et après l'éradication. L'outil Phytoseq permet l'identification précise et rapide de polymorphismes mononucléotidiques (SNP) qui discriminent les différentes lignées de P. ramorum et identifie également les polymorphismes intralignée qui seront informatifs pour étudier l’épidémiologie. L'outil Physeq peut être utilisé directement à partir de tissus infectés, ce qui en fait un outil utile pour la biosurveillance génomique à grande échelle. 

Figure 1. Amplification et séquençage des régions ciblées du génome directement à partir de tissus végétaux infectés et leur attribution à des lignées de Phytophthora ramorum.

Caractéristiques fonctionnelles liées à la valeur adaptative et au succès épidémiologique

Phytophthora ramorum possède deux caractéristiques qui en font un agent pathogène particulièrement menaçant pour les forêts canadiennes : la capacité d’attaquer des centaines d’espèces végétales mais aussi celle de s’attaquer aux tissus ligneux. Ces particularités préoccupent la communauté phytosanitaire internationale puisque des Phytophthora ayant des caractéristiques similaires pourraient être propagés par des produits en bois. Nous comparons donc des espèces de Phytophthora phylogénétiquement apparentées mais ayant des caractéristiques fonctionnelles différentes : hôte unique vs hôte multiple; attaque modérée vs agressive; attaque des tissus ligneux vs tissus foliaires. Ceci nous permet d’analyser leurs profils biologiques et génomiques afin de découvrir des familles de gènes qui augmentent la pathogénicité de l’espèce. Nous analysons actuellement l'expression des gènes dans les différentes lignées de P. ramorum et trouvons des profils d'expression génique distincts (figure 2).

 

Figure 2Les lignées de Phytophthora ramorum présentent une régulation génétique unique dans les feuilles de Rohododendron

La spongieuse asiatique

La spongieuse asiatique
La spongieuse asiatique

La spongieuse asiatique (Lymantria sp.) est un lépidoptère réglementé en Amérique du Nord et en Europe, et est un des insectes exotiques envahissants les plus menaçants au Canada et aux États-Unis. Elle s’attaque à un large éventail d’hôtes, autant des feuillus que des conifères. Les spongieuses asiatiques femelles ont une forte capacité de vol et peuvent pondre leurs œufs sur n’importe quelle surface; ces masses d’œufs sont d’ailleurs souvent retrouvées sur les conteneurs des cargos. Une introduction de spongieuses asiatiques dans les forêts canadiennes pourrait non seulement affecter le secteur forestier et celui des pépinières, mais également d’autres activités économiques au pays. Par exemple, l’industrie du transport maritime doit s’assurer que les navires entrant au Canada ne transportent pas de masses d’œufs. Lorsque les navires sont jugés non-conformes, ils doivent quitter les eaux canadiennes, interrompant ainsi le transport des biens aux frais des compagnies de transport et affectant toute la chaîne industrielle dépendante de la livraison de ces biens, conduisant ainsi à d’autres pertes économiques. 

 

Garder le Canada exempt de spongieuse asiatique demande l’inspection des navires qui entrent au pays pour s’assurer qu’ils sont exempts de masses d’œufs et nécessite une surveillance régulière autour des ports d’entrée pour détecter la présence d’insectes adultes. Lorsqu’une masse d’œufs est découverte sur un navire non-conforme, il est important d’identifier l’espèce en présence et sa provenance potentielle. L’ACIA exige des informations sur l’origine des insectes interceptés afin améliorer les procédures phytosanitaires, la réglementation et la conformité des compagnies de transport maritime ainsi que pour identifier les pays qui représentent un plus grand risque. Ces informations guident les négociations techniques avec nos partenaires commerciaux. La biosurveillance exige une identification précise de la spongieuse asiatique à tous les stades de la vie de l’insecte. La capacité de vol de cette dernière diffère des autres spongieuses déjà établies mais est difficile à déterminer chez les hybrides. Une méthode moléculaire permettant de détecter rapidement l’hybridation et de prédire la capacité de vol chez la spongieuse guiderait la prise de décision de l’ACIA.

Distribution géographique mondiale

Afin de développer une référence pour le suivi des ressource et l’évaluation du niveau d’hybridation dans les populations naturelles, nous avons mené, en 2017 et 2018, une campagne massive de collecte sur le terrain ciblant la spongieuse sur l’ensemble de son aire de répartition géographique (85 sites de collecte; 26 pays) dans le but de générer des profils génomiques. Nous traitons actuellement ces données pour (i) caractériser la structure génétique de la population mondiale de spongieuses, (ii) identifier les zones d’hybridation, et (iii) sélectionner des marqueurs génétiques qui peuvent être utiliser pour l’identification de la source des spécimens interceptés.

Caractéristiques fonctionnelles liées à la valeur adaptative et au succès épidémiologique

La capacité de vol est une caractéristique importante des insectes envahissants. Comparativement à la spongieuse européenne, les femelles de spongieuse asiatique volent très bien, facilitant ainsi leur propagation.  Ces deux espèces s’accouplent et produisent des hybrides avec des degrés variés de capacité de vol. L’introgression pourrait générer des individus avec une capacité de vol accrue dans un contexte génétique majoritairement européen. Nous chercherons donc des gènes candidats associés à la capacité de vol en étudiant les populations de parents et leur descendance, puis en déterminant leurs caractéristiques fonctionnelles.

Le choix de l’hôte par la spongieuse européenne et asiatique est un autre trait important. Nous avons testé la spongieuse asiatique en la nourrissant des dix 10 conifères les plus importants au Canada, à savoir, Pinus strobus, Pinus contorta, Picea glauca, Picea mariana, Picea abies, Pseudotsuga menziesii, Tsuga canadensis, Thuya plicata, Abies balsamea et Larix laricina dans une installation de confinement du Connecticut (USDA) (notre collaboratrice : Dr Melody Keena). Nous avons obtenu des informations indiquant une préférence pour les conifères chez la spongieuse asiatique sur les bases de : (a) gain de poids larvaire le plus élevé sur un hôte, (b) le taux de survie le plus élevé sur un hôte et (c) l’atteinte du 4ième stade larvaire le plus rapide à l’intérieur de dix jours.  Nous avons effectué du séquençage d’ARN sur les tissus du tube digestif des larves et une première analyse suggère que plusieurs gènes de détoxification importants sont régulés à la hausse. Afin d’obtenir un inventaire des défenses biochimiques préexistantes (constitutives) chez les arbres hôtes, nous avons échantillonné le feuillage des arbres hôtes avant d’y placer les larves d’insectes et effectué l’analyse de la teneur en composés phénoliques et en tanins condensés (Figure 1). Nos résultats suggèrent une variation importante de la biochimie de l’hôte parmi les espèces de conifères testées. Nous sommes actuellement en train d’analyser également les terpènes dans le feuillage. Finalement, nous pourrons interpréter nos résultats sur le potentiel de détoxification de la spongieuse et fournir des directives sur les espèces de conifères les plus sensibles au Canada. Ce travail est co-dirigé par Dre Ilga Porth (Université Laval) et le Dr Christopher Keeling (Ressources naturelles Canada).

Ce travail est également présenté sur le site internet du partenariat de recherche québécois 2RLQ (Réseau Reboisement et Ligniculture Québec) sous activités de recherche (https://2rlq.teluq.ca/sites-experimentaux/), pour promouvoir la recherche et le développement, le transfert de connaissances et le réseautage dans le domaine de la plantation forestière.

Figure 1 & 2 

  

Figure 1. Travail et crédit photo : Loic Soumila (étudiant au doctorat), collaborateurs : Dr Almuth Hammerbacher (Institut Max Planck, Jena), Dr Peter Constabel (Université de Victoria).

 

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